La cryoconservation du tissu ovarien constitue une option essentielle de préservation de la fertilité pour les jeunes patientes atteintes de cancer, notamment les filles prépubères inéligibles à la congélation d’ovocytes. Cette synthèse détaille le déroulement de la procédure, les critères d’éligibilité et les taux de succès escomptés. Les résultats majeurs font état de plus de 200 naissances vivantes à l’échelle mondiale, avec des taux de grossesse pouvant atteindre 50 % dans certaines études, tout en maîtrisant le risque potentiel de réintroduction de cellules cancéreuses.
Congélation du tissu ovarien : une option de préservation de la fertilité pour les jeunes patientes atteintes de cancer
Table des matières
- Introduction : pourquoi cette approche est importante pour les jeunes patientes
- Effets des traitements anticancéreux sur la fertilité
- Qu’est-ce que la cryoconservation du tissu ovarien ?
- Qui peut bénéficier de la congélation du tissu ovarien ?
- Critères spécifiques de sélection des patientes
- Techniques de congélation : congélation lente versus vitrification
- Méthodes de transplantation : orthotopique versus hétérotopique
- Risques importants et considérations de sécurité
- Conclusion et points clés à retenir
- Sources d’information
Introduction : pourquoi cette approche est importante pour les jeunes patientes
Le cancer chez l’enfant et l’adolescent demeure un enjeu de santé majeur, touchant une part importante de cette population. Si les traitements modernes ont considérablement amélioré les taux de survie—atteignant jusqu’à 90 % pour certains cancers—ces progrès s’accompagnent d’effets délétères sur la santé reproductive.
On estime qu’un adulte sur 530 âgé de 20 à 39 ans est un survivant d’un cancer pédiatrique. Avec l’augmentation des taux de survie, notamment en Amérique du Nord et en Europe occidentale, le nombre de survivants du cancer pédiatrique a fortement progressé. La préservation de la fertilité devient ainsi une préoccupation croissante pour les jeunes patientes et leurs familles.
Les traitements anticancéreux, comme la chimiothérapie et la radiothérapie, ont souvent des effets gonadotoxiques pouvant entraîner une insuffisance ovarienne et une infertilité. La baisse de production hormonale qui en résulte peut également accroître les risques d’hypertension, de maladies cardiovasculaires, d’ostéoporose et de symptômes ménopausiques, affectant significativement la qualité de vie.
Effets des traitements anticancéreux sur la fertilité
Les ovaires sont particulièrement vulnérables aux agents chimiothérapeutiques cytotoxiques, qui agissent progressivement et de façon irréversible. Ces médicaments provoquent l’apoptose (mort cellulaire programmée) des follicules primordiaux tout en réduisant les taux d’hormone anti-müllérienne. Ce processus active les follicules restants, conduisant à l’épuisement du capital ovarien.
Les effets sur la fertilité dépendent de plusieurs facteurs :
- La posologie et la durée de la chimiothérapie
- Le type de médicament utilisé
- L’âge de la patiente au moment du traitement
Les médicaments de chimiothérapie sont classés en trois catégories selon leur toxicité ovarienne :
Médicaments à haut risque : Cyclophosphamide, Ifosfamide, Chlorambucil, Melphalan, Busulfan, Moutarde à l’azote, Procarbazine, Nitrosourées
Médicaments à risque intermédiaire : Cisplatine, Carboplatine, Adriamycine, Doxorubicine, Actinomycine D
Médicaments à faible risque : Méthotrexate, 5-Fluorouracile, Vincristine, Vinblastine, Bléomycine, Mercaptopurine
La radiothérapie a des effets particulièrement dévastateurs sur les follicules primordiaux, entraînant une insuffisance ovarienne précoce, une baisse de la production hormonale et des anomalies utérines. Lorsque le pelvis ou l’abdomen est irradié, des lésions folliculaires peuvent survenir dès une dose de radiation ≥10Gy chez les filles post-pubères et ≥15Gy chez les filles pré-pubères.
Selon les recommandations du Children’s Oncology Group, des doses cumulées élevées d’agents alkylants, surtout combinées à une irradiation abdominale/pelvienne ou crânio-encéphalique, augmentent significativement le risque de déficiences hormonales ovariennes et d’infertilité.
Qu’est-ce que la cryoconservation du tissu ovarien ?
La cryoconservation du tissu ovarien (CTO) consiste en l’ablation chirurgicale de bandelettes de tissu ovarien ou de l’ensemble du cortex ovarien avant le début des traitements anticancéreux. Cette méthode présente plusieurs avantages, en particulier pour les patientes prépubères.
Contrairement à d’autres méthodes de préservation de la fertilité, la CTO ne nécessite pas de stimulation ovarienne, permettant de débuter rapidement le traitement anticancéreux. Elle évite ainsi les risques liés à la stimulation des cancers sensibles aux œstrogènes et constitue la seule option viable pour les filles prépubères atteintes de cancer.
La procédure préserve les follicules primordiaux du cortex ovarien, plus résistants aux lésions de cryoconservation que les ovocytes matures. Elle capture également un plus grand nombre de follicules primordiaux, augmentant les chances de fertilité tout au long de la durée de vie du greffon et réduisant le besoin de multiples tentatives de FIV (fécondation in vitro).
L’historique de la CTO est notable. Le concept a été décrit pour la première fois chez le rat en 1954, mais la première transplantation ovarienne humaine avec tissu préalablement préservé n’a été réalisée qu’en 1999 par le Dr Kutluk Oktay. La première naissance vivante à partir de tissu ovarien cryoconservé par congélation lente a été rapportée en 2004 par Donnez et al.
En 2018, 360 autotransplantations avaient été réalisées, avec un taux de grossesses réussies atteignant 30 %. Plus de 130 naissances vivantes après cryoconservation du tissu ovarien et autotransplantation ont été rapportées, dépassant les 200 en 2020. Des études récentes montrent des taux de grossesse et de naissance vivante atteignant respectivement 50 % et 41 % dans une série de 60 femmes suivies dans trois centres cliniques.
Qui peut bénéficier de la congélation du tissu ovarien ?
La CTO est essentiellement la seule option de préservation de la fertilité pour les filles prépubères et les adolescentes devant subir un traitement anticancéreux gonadotoxique. Les indications se sont considérablement élargies depuis les premiers cas rapportés en 2007, qui concernaient uniquement des filles atteintes de cancer.
Les indications les plus fréquentes incluent :
- Traitement par agents alkylants
- Conditionnement pré-allogreffe et autologue de cellules souches hématopoïétiques
- Radiothérapie focalisée sur les ovaires
- Gonadectomie
- Hémopathies malignes (leucémies, syndromes myélodysplasiques)
- Lymphomes
- Tumeurs osseuses
- Néoplasies neurologiques (neuroblastome, cancer du système nerveux central)
- Sarcomes
- Syndrome de Turner
- Hémoglobinopathies bénignes
La fréquence des maladies malignes comme indication de cryoconservation varie de 67 % à 95 %. Pour les maladies non malignes, le syndrome de Turner et les hémoglobinopathies bénignes sont les indications les plus fréquentes.
Bien que non encore couverte par des recommandations générales, la CTO peut bénéficier aux jeunes filles atteintes de maladies métaboliques causant une dégénérescence ovarienne, comme la galactosémie. Ces patientes conservent des follicules sains dans l’enfance, mais nécessitent une évaluation plus poussée de la fertilité à partir du tissu préservé, ce qui rend cette approche expérimentale pour ce groupe.
Critères spécifiques de sélection des patientes
Bien que la CTO offre des avantages significatifs, des critères d’éligibilité doivent être respectés. Le risque d’insuffisance ovarienne prématurée devrait dépasser 50 %, estimé en fonction de la quantité et de la qualité du tissu ovarien restant et du type de traitement anticancéreux prévu.
Si la littérature suggère 15 ans comme âge limite pour la CTO avant traitement, certaines études montrent qu’une exposition préalable à la chimiothérapie ne nuit pas nécessairement aux résultats, même dans des cas comme la leucémie aiguë où un traitement immédiat est nécessaire.
La radiothérapie pelvienne nécessite une attention particulière. Le système reproducteur est très sensible à une radiation directe >25Gy pendant l’enfance, conduisant souvent à l’infertilité. Les naissances vivantes après radiothérapie pelvienne sont très improbables en raison des effets locaux de l’irradiation et du rejet potentiel du tissu transplanté dû à la fibrose induite.
L’âge de la patiente à la transplantation est crucial, l’âge étant inversement corrélé aux résultats. Trente-cinq ans est généralement considéré comme la limite supérieure pour la cryoconservation en raison de la diminution du nombre de follicules primordiaux avec l’âge.
D’autres critères d’éligibilité incluent :
- Une survie attendue supérieure à 5 ans
- L’absence de métastases
- Aucune contre-indication à la chirurgie
Techniques de congélation : congélation lente versus vitrification
La CTO implique l’ablation chirurgicale de bandelettes de tissu ovarien ou de l’ensemble du cortex ovarien. La quantité de tissu retiré dépend de la taille de l’ovaire et du risque d’insuffisance ovarienne prématurée. Bien que l’ablation des deux ovaires soit une option, des biopsies ovariennes suffisent souvent pour préserver la fertilité.
Trois techniques principales sont utilisées pour la cryoconservation du tissu ovarien :
Vitrification : Rapportée pour la première fois en 1985, cette technique solidifie les cellules sous une forme vitreuse sans cristallisation de glace, en utilisant de fortes concentrations d’agents cryoprotecteurs et des taux de refroidissement rapides atteignant 5000°C/min. Bien qu’efficace, elle nécessite des concentrations élevées de cryoprotecteurs, augmentant le risque de toxicité cellulaire.
Congélation ultra-rapide : Cette technique implique l’exposition directe des échantillons à l’azote liquide avec des quantités de cryoprotecteurs inférieures à celles de la vitrification. Elle est principalement utilisée pour la congélation d’ovocytes et d’embryons plutôt que pour la préservation du tissu ovarien.
Technique de congélation lente : Introduite en 1966, cette méthode utilise des congélateurs programmables avec des taux de refroidissement contrôlés de 1,5°C/min et des concentrations de cryoprotecteurs inférieures à celles de la vitrification. La procédure prend plusieurs heures, mais elle reste la méthode la plus couramment utilisée et la plus réussie pour la CTO.
La congélation lente demeure la technique de référence mondiale pour la préservation des follicules ovariens et les naissances vivantes après transplantation. Selon les données actuelles, 131 grossesses et 75 naissances vivantes ont été rapportées après congélation lente et transplantation, contre seulement 4 naissances après vitrification. La congélation lente restaure également la fonction endocrine dans un délai de 1 à 20 mois après transplantation (délai moyen : 3-5 mois).
Méthodes de transplantation : orthotopique versus hétérotopique
La réimplantation du tissu ovarien peut se faire par deux méthodes principales, chacune avec ses avantages et ses considérations.
Transplantation orthotopique : Elle consiste à implanter le tissu ovarien dans la cavité péritonéale, au niveau de l’ovaire restant, de la fossette ovarienne ou du ligament large. Son principal avantage est la possibilité de grossesse spontanée aboutissant à une naissance vivante. La fonction endocrine est restaurée dans plus de 95 % des cas, débutant 2 à 9 mois après la greffe et pouvant persister jusqu’à 7 ans.
Les taux de naissance vivante atteignent jusqu’à 41,6 % avec cette technique. Cependant, en tant que procédure chirurgicale, les taux de complications varient de 2 à 7,1 pour 1000 cas. La transplantation orthotopique reste la méthode de choix lorsque la naissance vivante est l’objectif principal.
Transplantation hétérotopique : Cette méthode implante le tissu ovarien en dehors de la cavité péritonéale, comme la paroi abdominale sous-cutanée, sous le péritoine, le muscle droit de l’abdomen ou l’avant-bras. Ses avantages incluent la simplicité, le rapport coût-efficacité, un caractère moins invasif et la faisabilité en cas d’adhérences pelviennes empêchant la transplantation orthotopique.
Sa principale limitation est l’impossibilité de grossesse spontanée ; bien que la FIV reste une option, l’expérience est très limitée. La transplantation hétérotopique est privilégiée lorsque la restauration de la fonction endocrine est l’objectif principal.
La transplantation hétérotopique de tissu ovarien cryoconservé (TOC) a été réalisée avec succès, permettant la récupération de la fonction endocrine et la puberté lorsque le tissu a été cryoconservé à l’âge de 10 ans. Bien que l’expérience reste limitée, les taux de fonction ovarienne, de grossesse menée à terme et de naissances vivantes semblent comparables à ceux observés chez les patientes adultes.
Risques importants et considérations de sécurité
Comme toute procédure médicale invasive, la cryoconservation de tissu ovarien comporte des risques spécifiques et des complications potentielles que les patientes et leurs familles doivent connaître.
Le risque le plus significatif est la réimplantation potentielle de cellules malignes avec le tissu ovarien. Ce risque est particulièrement pertinent puisque la plupart des patientes subissent la cryoconservation avant de débuter le traitement anticancéreux. Les niveaux de risque varient considérablement selon le type de cancer et l’atteinte ovarienne.
Tumeurs malignes à faible risque (<0,2 % de risque) : Cancer du sein précoce (stade I-III), carcinome épidermoïde du col utérin, lymphome hodgkinien et tumeur de Wilms.
Tumeurs malignes à risque modéré (0,2-11 % de risque) : Cancer du sein stade IV, sarcome d’Ewing, adénocarcinome du col utérin et lymphome non hodgkinien.
Tumeurs malignes à haut risque (>11 % de risque) : Leucémies, neuroblastome et lymphome de Burkitt. Les patientes atteintes de leucémie aiguë présentent une préoccupation particulière, car les cellules malignes peuvent être présentes dans le sang, augmentant le risque de réimplantation lors de la greffe.
Les patientes à haut risque de réimplantation de cellules malignes ne devraient généralement pas subir de TOC et de transplantation ultérieure. Alternativement, le tissu ovarien pourrait être prélevé après plusieurs cycles de chimiothérapie pour réduire la présence de cellules malignes.
Bien que quatre naissances vivantes aient été rapportées chez des patientes dont le tissu ovarien a été prélevé après chimiothérapie pour leucémie, le risque de lésion du tissu ovarien par la chimiothérapie existe et pourrait affecter la qualité et la longévité du greffon. Une analyse histologique approfondie du tissu ovarien avant cryoconservation et avant réimplantation est essentielle pour éviter de transplanter des cellules cancéreuses.
Les méthodes de détection actuelles incluent les analyses histologiques, les tests immunohistochimiques pour les marqueurs spécifiques, l’hybridation in situ en fluorescence et les méthodes moléculaires. Cependant, même chez des patientes en rémission complète, le risque—bien que faible—ne peut être totalement éliminé.
Conclusion et points clés à retenir
La cryoconservation de tissu ovarien représente une avancée majeure dans la préservation de la fertilité pour les jeunes patientes atteintes de cancer, en particulier les filles prépubères qui ne peuvent pas bénéficier des méthodes conventionnelles de congélation d’ovocytes. La procédure offre des avantages distincts, notamment l’absence de nécessité de stimulation ovarienne, la préservation de nombreux follicules primordiaux et la restauration potentielle de la fertilité et de la fonction endocrine.
Avec plus de 200 naissances vivantes réussies rapportées dans le monde et des taux de grossesse atteignant 50 % dans certaines études, la TOC a démontré son efficacité clinique. L’American Society for Reproductive Medicine a reconnu cette méthode comme sûre et cliniquement acceptée depuis 2019.
La sélection des patientes reste cruciale, avec des considérations incluant le type de cancer, les traitements planifiés, l’âge et les facteurs de risque spécifiques. Bien que la réimplantation de cellules malignes constitue la préoccupation principale, un dépistage minutieux et l’amélioration des méthodes de détection continuent d’optimiser les profils de sécurité.
Alors que les taux de survie au cancer continuent de s’améliorer pour les patientes pédiatriques et adolescentes, les options de préservation de la fertilité comme la cryoconservation de tissu ovarien joueront un rôle croissant dans la prise en charge globale du cancer et la qualité de vie des survivantes.
Sources d’information
Titre de l’article original : Ovarian Tissue Cryopreservation in Children and Adolescents
Auteurs : Angeliki Arapaki, Panagiotis Christopoulos, Emmanouil Kalampokas, Olga Triantafyllidou, Alkis Matsas, Nikolaos F. Vlahos
Publication : Children 2022, 9(8), 1256
Affiliation : Deuxième département d’obstétrique et gynécologie, Hôpital "Aretaieion", Faculté de médecine, Université nationale et capodistrienne d’Athènes, Grèce
Cet article adapté aux patientes est basé sur une recherche évaluée par des pairs et conserve toutes les découvertes significatives, points de données et recommandations cliniques de la publication scientifique originale.