Statines et cancer colorectal : ce que les patients doivent comprendre

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Cette vaste étude de population a révélé que la prise de statines hypocholestérolémiantes pendant au moins cinq ans était associée à une réduction de 47 % du risque de cancer colorectal, après ajustement des autres facteurs de risque. Menée auprès de près de 4 000 participants en Israël, elle a montré que la simvastatine et la pravastatine offraient des effets protecteurs similaires, tandis que d’autres médicaments hypocholestérolémiants ne présentaient pas cet avantage. Bien que ces résultats soient prometteurs, les chercheurs soulignent la nécessité d’études complémentaires avant de recommander les statines spécifiquement pour la prévention du cancer.

Statines et risque de cancer colorectal : ce que les patients doivent savoir

Table des matières

Introduction : Comprendre le lien

Le cancer colorectal demeure le troisième cancer le plus fréquemment diagnostiqué aux États-Unis, avec environ 145 000 nouveaux cas et 56 300 décès estimés pour 2005, année de réalisation de cette recherche. La communauté médicale recherche activement des stratégies de prévention efficaces. L’aspirine et d’autres anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ont montré des résultats encourageants, mais leurs effets secondaires potentiels peuvent limiter leur utilisation généralisée en prévention du cancer.

Les statines sont une classe de médicaments principalement utilisés pour abaisser le cholestérol en inhibant une enzyme appelée 3-hydroxy-3-méthylglutaryl coenzyme A réductase (HMG-CoA réductase). Au-delà de leurs effets hypocholestérolémiants, les chercheurs ont découvert que les statines pourraient avoir des bénéfices supplémentaires, notamment des propriétés anticancéreuses potentielles. Des études en laboratoire ont montré qu’elles peuvent inhiber la croissance des cellules cancéreuses colorectales et même déclencher l’apoptose (mort cellulaire programmée) dans des lignées cellulaires cancéreuses.

Des essais cliniques antérieurs conçus pour tester les statines dans les maladies cardiaques avaient occasionnellement rapporté des données sur le cancer, mais les résultats étaient inconstants. Certaines études suggéraient que les statines pourraient augmenter le risque de cancer, tandis que d’autres indiquaient des effets protecteurs potentiels. Ces essais n’étaient pas spécifiquement conçus pour étudier le cancer, ils manquaient donc de puissance statistique pour tirer des conclusions définitives sur la relation entre les statines et le risque de cancer colorectal.

Méthodologie de l’étude

Cette recherche a été menée dans le cadre de l’étude d’épidémiologie moléculaire du cancer colorectal, une enquête cas-témoins populationnelle exhaustive dans le nord d’Israël. L’étude incluait des patients diagnostiqués avec un cancer colorectal entre le 31 mai 1998 et le 31 mars 2004, comparés à des témoins soigneusement appariés sans cancer.

Les chercheurs ont identifié 3 181 patients potentiellement éligibles atteints de cancer colorectal pendant la période d’étude. Après exclusion des patients introuvables ou décédés, 2 563 patients ont été approchés pour participer. Finalement, 2 146 ont complété le processus d’entretien complet, représentant un taux de réponse élevé de 67,5 % de tous les patients éligibles. Le groupe témoin comprenait 2 162 participants appariés, représentant 52,1 % des témoins éligibles invités à participer.

L’analyse finale incluait 1 953 patients atteints de cancer colorectal et 2 015 témoins, formant 1 651 paires appariées. Les témoins étaient individuellement appariés aux patients selon l’année de naissance, le sexe, le lieu de consultation primaire et le groupe ethnique (juif vs non-juif). Tous les participants bénéficiaient d’une couverture d’assurance maladie similaire et d’un accès aux services de santé grâce au système de couverture santé obligatoire israélien.

Les chercheurs ont mené des entretiens en personne détaillés pour recueillir des informations complètes incluant :

  • Antécédents médicamenteux détaillés, en particulier l’utilisation de statines pendant au moins cinq ans
  • Utilisation d’aspirine et d’autres anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)
  • Antécédents médicaux personnels et familiaux, incluant les antécédents cancéreux
  • Habitudes alimentaires évaluées par questionnaires validés de fréquence alimentaire
  • Modèles d’activité physique utilisant un instrument validé
  • Informations démographiques et facteurs de mode de vie

Pour garantir l’exactitude, l’équipe de recherche a vérifié l’utilisation auto-déclarée de statines auprès des dossiers de prescription de la base de données des services de santé Clalit pour 286 participants ayant déclaré une utilisation de statines et disposant de dossiers disponibles. Ce processus de validation a confirmé que 96,5 % des auto-déclarations étaient exactes par rapport aux dossiers de prescription montrant au moins trois ordonnances honorées par an.

Principaux résultats : statines et réduction du risque de cancer

L’étude a révélé des différences frappantes dans l’utilisation des statines entre les patients atteints de cancer colorectal et les participants témoins. Seulement 6,1 % des patients cancéreux (120 sur 1 953) ont déclaré utiliser des statines pendant cinq ans ou plus, contre 11,6 % des témoins (234 sur 2 015). Cette différence s’est traduite par une réduction statistiquement significative de 50 % du risque de cancer colorectal chez les utilisateurs de statines.

Après ajustement pour de multiples facteurs pouvant influencer le risque de cancer—incluant l’âge, le sexe, l’utilisation d’AINS, le groupe ethnique, l’activité physique, l’hypercholestérolémie, les antécédents familiaux de cancer colorectal et la consommation de légumes—l’association protectrice est restée forte. L’analyse ajustée a montré une réduction de 47 % du risque de cancer colorectal (rapport de cotes 0,53 ; intervalle de confiance à 95 % de 0,38 à 0,74).

La recherche a examiné les deux statines les plus couramment utilisées dans la population étudiée :

  • Simvastatine représentait 55,6 % de l’utilisation des statines et montrait une réduction de risque de 51 % (rapport de cotes 0,49)
  • Pravastatine représentait 41,5 % de l’utilisation et montrait une réduction de risque de 56 % (rapport de cotes 0,44)

Il est important de noter que l’étude a constaté que d’autres médicaments hypocholestérolémiants ne fournissaient pas le même effet protecteur. Spécifiquement, les dérivés de l’acide fibrique (comme le bézafibrate) ne montraient aucune association significative avec une réduction du risque de cancer colorectal (rapport de cotes 1,08 ; intervalle de confiance à 95 % de 0,59 à 2,01).

L’effet protecteur des statines était cohérent dans différents sous-groupes de patients :

  • Protection similaire pour le cancer du côlon et le cancer rectal
  • Aussi efficace chez les patients avec et sans antécédents familiaux de cancer colorectal
  • Protection constante parmi les patients avec hypercholestérolémie ou cardiopathie ischémique
  • Protection significative même parmi les patients avec maladie inflammatoire chronique de l’intestin

Les chercheurs ont également examiné si les statines affectaient le stade du cancer au diagnostic ou les caractéristiques tumorales. Ils ont constaté que les utilisateurs de statines étaient tout aussi susceptibles d’être diagnostiqués à des stades précoces (I ou II) qu’à des stades avancés (III ou IV) comparés aux non-utilisateurs. Une tendance non significative vers moins de tumeurs peu différenciées a été observée chez les utilisateurs de statines (6,4 % contre 8,6 % chez les non-utilisateurs).

Implications cliniques pour les patients

Cette recherche fournit des preuves convaincantes que l’utilisation à long terme des statines pourrait significativement réduire le risque de développer un cancer colorectal. La réduction relative du risque de 47 % après prise en compte d’autres facteurs de risque connus représente un effet protecteur potentiel substantiel. Pour les patients prenant déjà des statines pour la prise en charge du cholestérol, cette étude suggère qu’il pourrait y avoir un bénéfice supplémentaire important au-delà de la protection cardiovasculaire.

La constatation que l’effet protecteur était spécifique aux statines—et non observé avec d’autres médicaments hypocholestérolémiants—suggère que le mécanisme pourrait impliquer plus qu’une simple réduction du cholestérol. Les chercheurs pensent que les statines pourraient agir par de multiples voies, incluant des effets anti-inflammatoires, l’inhibition de la croissance des cellules cancéreuses et la promotion de la mort cellulaire cancéreuse.

Il est particulièrement notable que l’effet protecteur était cohérent parmi différents groupes de patients, incluant ceux avec des antécédents familiaux de cancer colorectal et ceux avec maladie inflammatoire chronique de l’intestin (tous deux facteurs de risque connus de cancer colorectal). Ceci suggère que les statines pourraient être efficaces même pour les populations à risque plus élevé.

L’étude a également confirmé que l’utilisation auto-déclarée de statines était très précise (taux de validation de 96,5 % contre les dossiers de prescription), ce qui renforce la confiance dans les résultats. De plus, l’analyse du biais de participation n’a montré aucune différence significative dans l’utilisation des statines entre les participants à l’étude et ceux ayant refusé, soutenant davantage la validité des résultats.

Limites et considérations de l’étude

Bien que cette étude fournisse des preuves solides d’une association protectrice entre l’utilisation des statines et le risque de cancer colorectal, il est important d’en comprendre les limites. En tant qu’étude observationnelle plutôt qu’essai randomisé contrôlé, elle peut montrer une association mais ne peut prouver une causalité. D’autres facteurs pouvant différer entre utilisateurs et non-utilisateurs de statines pourraient contribuer à la réduction de risque observée.

La population étudiée provenait principalement du nord d’Israël, ce qui peut limiter la directe applicabilité des résultats à d’autres populations ethniques ou géographiques. Cependant, les mécanismes biologiques proposés pour les effets protecteurs des statines fonctionneraient probablement de manière similaire à travers différentes populations.

Les dossiers de prescription n’étaient disponibles qu’à partir de 1998, donc certaines utilisations de statines avant cette période n’ont pu être vérifiées par les dossiers pharmaceutiques. Cependant, le taux élevé de validation de l’utilisation auto-déclarée parmi ceux avec dossiers disponibles suggère que le rappel était généralement exact.

Les chercheurs ont ajusté pour de nombreux facteurs de risque connus du cancer colorectal, mais il reste toujours la possibilité d’un facteur confusionnel résiduel de facteurs non mesurés. Par exemple, les utilisateurs de statines pourraient généralement être plus soucieux de leur santé ou avoir un meilleur accès aux soins, ce qui pourrait contribuer à leur risque de cancer plus faible.

Enfin, la réduction absolue du risque par l’utilisation des statines est probablement modeste pour la population générale. Le risque de cancer colorectal varie significativement selon l’âge, les antécédents familiaux et d’autres facteurs, donc le bénéfice potentiel serait plus important pour les individus à risque plus élevé.

Recommandations aux patients et prochaines étapes

Sur la base de cette recherche, les patients devraient considérer les éléments suivants :

  1. Discutez des résultats avec votre professionnel de santé - Si vous prenez déjà des statines pour la prise en charge du cholestérol, ce bénéfice supplémentaire potentiel mérite d’être discuté lors de votre prochain rendez-vous
  2. Ne commencez pas les statines uniquement pour la prévention du cancer - Cette étude ne fournit pas suffisamment de preuves pour recommander les statines spécifiquement pour la prévention du cancer en dehors de leurs utilisations approuvées
  3. Continuez les dépistages cancéreux recommandés - Indépendamment de l’utilisation des statines, continuez à suivre les recommandations établies pour le dépistage du cancer colorectal basé sur votre âge et vos facteurs de risque
  4. Maintenez des habitudes globalement saines - L’utilisation de statines ne remplace pas l’importance d’une alimentation équilibrée, d’une activité physique régulière, du maintien d’un poids santé et de l’évitement du tabac

Les chercheurs soulignent que bien que ces résultats soient prometteurs, des investigations supplémentaires sont nécessaires avant de modifier la pratique clinique. Spécifiquement, ils appellent à :

  • Essais contrôlés randomisés spécifiquement conçus pour évaluer les statines dans la prévention du cancer colorectal
  • Recherche sur les mécanismes biologiques sous-tendant les effets protecteurs potentiels des statines
  • Études examinant si différentes statines ou posologies offrent des niveaux de protection variables
  • Investigation sur l’éventuel bénéfice des statines pour d’autres types de cancers au-delà du cancer colorectal

Les patients participant aux essais en cours sur les statines doivent poursuivre leur participation, car ces études pourraient apporter des éclairages supplémentaires sur les effets préventifs potentiels de ces médicaments contre le cancer.

Informations sur la source

Titre original de l’article : Statins and the Risk of Colorectal Cancer

Auteurs : Jenny N. Poynter, M.P.H., Stephen B. Gruber, M.D., Ph.D., M.P.H., Peter D.R. Higgins, M.D., Ph.D., Ronit Almog, M.D., M.P.H., Joseph D. Bonner, M.S., Hedy S. Rennert, M.P.H., Marcelo Low, M.P.H., Joel K. Greenson, M.D., et Gad Rennert, M.D., Ph.D.

Publication : New England Journal of Medicine, 26 mai 2005, Volume 352, Numéro 21, Pages 2184-2192

Note : Cet article vulgarisé pour les patients s’appuie sur une recherche évaluée par les pairs du New England Journal of Medicine et conserve toutes les conclusions, données significatives et résultats principaux de l’étude originale.